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Toy Story 2: le tout numérique au Gaumont Aquaboulevard

Toy Story 2 Mercredi 2 février 2000. Ce matin a eu lieu la première projection publique tout numérique dans un cinéma européen, à l'occasion de la sortie de Toy Story 2 au Gaumont Aquaboulevard.

Dès neuf heures, Gaumont avait donné rendez-vous aux journalistes pour une conférence de presse-démonstration. De nombreuses question de tous ordres furent posés aux responsables présents de Gaumont, GBVI, Disney et Texas Instruments. Le début de la version numérique de Toy Story 2 fut également projeté.


Historique

Le cinéma numérique paraissait bien loin encore il y a un an, jusqu'à ce que George Lucas organise des projections de la version numérique de Star Wars - Episode I. Le but à atteindre paraît encore loin. L'image ne doit pas dépasser onze mètres de base. Quelques semaines après la sortie du film, la version numérique sera projetée dans quatre salles américaines, toutes de taille moyenne. Les avis sont alors plus que mitigés. Les spécialistes critique notamment un respect très relatif des couleurs.

Pourtant, Lucas persiste, et annonce que le prochain Star Wars serait tourné et projeté en numérique uniquement (traduction: seules les salles équipées en numérique pourraient passer le film). A deux ans de la sortie supposée du film, on est toujours dubitatif....

Puis le dessin animé Tarzan a lui aussi subi un transfert numérique pour être projeté ainsi dans quelques salles.

Enfin, c'est le tour de Toy Story 2. Mais la donne est différente. Contrairement à SW et Tarzan, Toy Story 2 a entièrement été conçu en numérique. Projeter le film en numérique revient à le laisser sur ce support jusqu'à la projection, sans aucun transfert. Le film sort dans plusieurs salles aux Etats-Unis, et pas des moindres, parmi lesquels El Capitan, une très grande salle avec balcon d'Hollywood Boulevard, qui ne passe que les films Disney, et l'Edwards 21 d'Irvine, près de Los Angeles, qui est l'un des multiplexes les plus fréquentés des Etats-Unis. [Pour ces deux cinémas, voir le dossier Los Angeles]

Les spectateurs sont nettement plus impressionnés. La plupart trouvent la projection supérieure au 35mm, tandis quelques uns trouvent quelques défauts.

Technique

[Il y a forcément dans ce qui suit quelques erreurs ou imprécisions, les spécialistes sont invités à se manifester!]

Le procédé s'appelle le DLP Cinema, conçu par Texas Instruments.

DLP Cinema

Le film est stocké sur un disque dur "de la taille d'une pizza" (Phil Barlow, Disney), d'une capacité totale de 72 Go. Le film lui-même pèserait 1.5 teraoctets (probablement le disque dur de la machine typique vendue pour mille Euro en 2006!); par compression (propriétaire), il n'occupe plus que 32 à 40 Go (selon les sources).

Le projecteur est installé à côté du projecteur 35mm (une seconde fenêtre de projection a été creusée); c'est un prototype (on ignore encore son futur prix), et la partie software n'est pas encore arrêtée, dans l'attente d'un standard (comme le 35mm). La lumière provient d'une lampe xenon de 6kw (à comparer aux 7kx nécessités par un écran de plus de 18m); on explique l'absence d'obturateur provoque une meilleure répartition de la luminosité.

L'image offre une résolution de 1280 * 1024 pixels (l'équivalent de l'image type d'un écran 19 pouces).

On nous explique que le son est en six canaux non-compressés (PCM?). Ce serait alors un abus de langague de parler de Dolby Digital... D'autre part, six canaux correspondent aux trois voies avant, aux deux voies arrière, et aux basses; où se trouve dans tout ça le nouveau canal arrière central du Dolby EX et du DTS ES? A-t-il disparu? Où n'est-il pas compté parce que c'est un canal analogique et non numérique?

La projection

La projection numérique Enfin, la projection commence. Je suis installé au milieu de la troisième rangée.

Le trailer Gaumont Buena Vista est toujours aussi spectaculaire. On a également droit à un trailer DLP Cinema, qui me fait penser à celui du THX. On peut à peine apercevoir un léger crénelage sur les lettres dorées de "Texas Instruments".

Le film commence. Les images sont très belles. Les textures sont superbes. Le son est spectaculaire (mais on n'est pas venu pour ça!). La version française me déconcentre ("To infinity and beyond", c'était autre chose!), et je guette les détails. Lors du jeu vidéo avec Buzz, je ne peux rien remarquer. Puis l'histoire commence. Je guette toujours, et je peux repérer le défaut: les limites obliques contrastées subissent un crénelage (effet d'escalier). Je remarque ça avec les jambes de Buzz et d'Andy, et avec la robe de Bo (la poupée). Dommage, parce que le reste est vraiment superbe. Je dois reconnaître que je n'aurais sans doute pas vu ces défauts si je ne les avais pas cherchés. Je continue à m'extasier devant les textures. La projection s'interrompt lors de la chute de Woody dans le trou noir. La salle applaudit, impressionnée.

On avait invité ceux qui le souhaitaient à rester pour voir le film, j'ai donc décidé de revoir le début. La salle se remplit vite. Comme annoncé dans la pub, peu avant le film, un membre du personnel d'accueil se met devant l'écran avec un micro, et informe le public de la spécificité de la projection. Près de la porte, l'équipe de la direction regarde. Le film commence, précédé par la bande annonce de "Dinausaures". Plus de 150 billets ont été vendus. La direction de Gaumont semble très satisfaite.

Avantages

Les intervenants semblent intarissables sur la quantité d'avantages apportés par le DLP Cinema.

La "copie" est inusable. On n'aura plus droit aux habituelles rayures et taches au bout de plusieurs semaines d'exploitation. Les couleurs ne passeront plus au fil du temps. Le film sera dans cent ans dans le même état qu'aujourd'hui.

Plusieurs langues peuvent être stockées sur le disque, ainsi des sous-titres, qui peuvent être utilisés de manière optionnelle en fonction des séances.

Le tournage et le montage seront facilités. On ne pourra plus parler de master et de copie, car ils seront tous deux de qualité similaire.

Les coûts

On ne connaît pas encore le prix d'un projecteur (on parle d'un million de francs). L'investissement serait énorme pour les exploitants. Les studios ont prévus de participer financièrement aux investissements.

Les opérateurs

Projecteur Dans les premières salles équipées aux Etats-Unis, les projectionnistes se seraient montrés particulièrement enthousiastes. Plus généralement, les opérateurs ne donneraient pas l'impression de craindre l'arrivée du numérique, et ne s'en plaindraient pas (mais il est exceptionnel que des employés américains critiquent les changements auxquels ils doivent faire face).

L'opérateur ne serait nullement menacé. Son rôle sera différent, mais il sera toujours indispensable (on ne voit pas cependant comment on ne réduirait pas le nombre d'opérateurs dans un multiplexe, si leur rôle se réduit à lancer un ordinateur, et être là "en cas de pépin"). On nous a expliqué que leur métier changera, comme il avait changé à la fin des charbons, et deviendra plus technique. Il sera également plus ouvert aux femmes, avec la fin du chargement des lours plateaux.

Tout cela paraît bien optimiste toutefois.

La visite de la cabine

Très rapide. Le personnel a des consignes très strictes: personne ne doit rentrer dans la cabine. Secret d'état ou besoin de sécuriser un matériel onéreux prêté par Texas Instruments?

L'avenir

On annonce qu'il reste des progrès à faire pour la profondeur des couleurs et les dégradés de gris. L'augmentation de la résolution est également prévue, mais elle n'est pas prioritaire. Pour le scope, on annonce 1920 * 1080 pixels.

A ce jour, huit salles sont équipées aux Etats-Unis et deux au Canada. En Europe, cinq salles sont ou seront bientôt équipées (Aquaboulevard, Kinepolis Bruxelles, deux à Londres, une à Manchester).

Sur les 25.000 écrans américains, on estime que la moitié seront équipés d'ici huit à dix ans. On peut faire la même estimation pour les 4.500 écrans français (mais les gros studios seront-ils prêts à aider au financement de nos innombrables petits cinémas, les "art-et-essai" par exemple, même si ceux-ci seront moins dans l'urgence?)

Pour Disney, les studios et laboratoires doivent penser au futur (comprendre: aller vers le numérique) pour survivre.

Conclusions

On peut d'abord se demander pourquoi le système n'a pas été installé dans la salle phare du circuit Gaumont, le Gaumont Italie. Est-ce pour donner un coup de pouce au Gaumont Aquaboulevard? Est-ce parce que l'écran de 24 mètres du Gaumont Italie aurait trop révélé les défauts de l'image numérique? Ou parce que la lumière obtenue aurait été insuffisante sur le grand écran? (Je penche pour la dernière hypothèse).

Dommage qu'on ait choisi de montrer ce film en version française uniquement (il aurait été préférable de prévoir la version originale pour les soirées). Cela gommera l'effet d'attraction que le spectacle aurait eu sur les cinéphiles (nombre d'entre eux semblent en effet indécis ou affirment qu'ils n'iront pas); la supposée bonne qualité de la version française n'y changera rien. A la première séance, l'immense majorité des spectateurs étaient accompagnés d'enfants, et n'étaient probablement pas venus pour admirer la prouesse technique.

Le numérique est en route, et rien ne l'arrêtera. On nous l'a dit, et c'est sans doute vrai, "90% des spectateurs ne remarqueront aucune différence"; mais on nous a aussi dit qu'il ne serait fait aucun compromis sur la qualité. On espère donc des progrès rapides, qui diminueront les problèmes de crénelage, trop agaçants. Reste aussi à voir ce que le système donnera pour un film tourné dans un décor avec des vrais acteurs.

Liens utiles:

Le DLP Cinema, par Texas Instruments
Toy Story 2, les spécifications techniques.


© Disney/Pixar

 

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